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Lutte-t-on vraiment contre le cancer ?

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Alors qu’un énième plan national de lutte contre le cancer vient d’être martialement décrété, ce livre vient rappeler pourquoi tous ces plans ont échoué sans exception, depuis la « guerre mondiale au cancer » déclarée en... 1906. C’est que notre société refuse de reconnaître que la principale source de la maladie réside dans la pollution de notre environnement, l’usage de produits toxiques dans notre alimentation et l’exposition à des substances nocives au travail. « La flambée des cancers professionnels, la banalisation des substances toxiques et la dissémination des dioxines jusque dans le lait maternel témoignent, selon les auteurs, de choix collectifs dédiés à tout prix à la productivité. » Individualiser le risque-cancer, pour mieux le sous-traiter aux assureurs, voilà quel serait le « choix collectif » entériné sous l’influence de nombreux lobbies. La loi votée à l’automne 2001 sur les « risques génétiques » en est une illustration : « En principe, le rôle du médecin du travail est de réduire le danger ou d’adapter le poste à un handicap. Désormais la loi prévoit et organise l’éviction non du risque, mais du travailleur sur l’appréciation d’une sensibilité personnelle. » Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que le plan gouvernemental soit condamné.

Philippe Rivière

La Martinière, Paris, 2004, 175 pages, 15 euros.



Texte extrait du livre La société cancérigène : Lutte-t-on vraiment contre le cancer ? coécrit par Geneviève Barbier et Armand Farrachi.

L’Occident malade est comme subjugué par les efforts qu’il déploie contre son plus intime ennemi: il admire ses hôpitaux comme des palais, se flatte de ses chercheurs devenus ses champions, défend ses médicaments qu’il donne pour des blasons. Non, cette société n’est même plus cancérigène, elle est cancérophile. La tumeur maligne est intégrée à son programme. Mieux elle la traite, meilleure elle est. Quoi qu’il lui en coûte, elle continuera d’aimer le pétrole, les débroussaillants, les téléphones mobiles.

Dans le temps où tant d’efforts ôteront peut-être quelques-unes de ses proies au crabe malin, c’est par milliers que de nouveaux malades lui sont livrés chaque année en holocauste, comme les vierges au Minotaure. Pour un qui serait mort hier et qui survit aujourd’hui, combien passeront désormais sous son joug ? Au moment d’achever ce constat, la conviction que le cancer peut reculer doit pourtant rester la dernière, tant il est vrai que, si nous ne faisons pas partie de la solution, nous faisons déjà partie du problème.

Quel sens faut-il encore donner au sacro-saint « comportement individuel » quand le fléau s’étend à l’échelle d’une civilisation ? À mesure que les risques collectifs augmentent, respecter les conseils diététiques, fréquenter les salons « forme et bien- être » ou espérer les nouveaux médicaments miracles tend à l’absurde dans un monde où tout, jusqu’à l’air qu’on respire, devient toxique. Un personnage de Blade Runner ou de Soleil vert mordant un fruit bio dans un décor d’apocalypse n’a de place que dans une comédie. Certes, c’est la somme de nos renoncements qui donne au tableau toute sa cohérence, c’est aussi l’attitude de chacun qui pourrait infléchir le cours des choses. Mais lutter contre le cancer demande plus que des soins cosmétiques. Faut-il donc changer le monde pour faire reculer le cancer ? À mesure que ce combat semble hors de notre portée ou déjà perdu pointent les premiers signes du découragement ou de la désespérance, et avec eux la tentation du repli sur soi. Pourtant, la peur est mauvaise conseillère. Lorsque le pédiatre Maurice Titran s’est attelé aux effets dévastateurs de l’alcool dans les familles, à Roubaix, personne n’aurait parié cent sous de son succès. Aujourd’hui, son équipe sert d’exemple pour avoir appliqué cette ambitieuse et modeste devise : « Il n’y a jamais un seul problème, mais une multitude de problèmes, face auxquels existent aussi une multitude de solutions, dont chacun détient une partie… Dès lors, il devient possible de vivre, et de penser. »

Le plan anticancer appelle les professionnels comme le public à un rôle très convenu : soigner, être soigné. Certes, témoigner n’est pas dans les usages et on ne demande pas aux soignants de s’exprimer sur la flambée des allergies, des suicides ou des cancers, encore moins de constater qu’une société qui fabrique ses plus puissants poisons n’est peut-être pas saine. Pourtant, quel mal, quel danger y aurait-il à dire la vérité, à ne plus taire les questions que pose l’observation de la collectivité malade ? Il faut pour cela se détacher du dogme, enseigné dans les facultés de médecine, que le « facteur de risque » se confond avec les « comportements inappropriés », préparant naturellement à la notion de risques « choisis » et d’assurance maladie à la carte. Le malade d’un cancer du poumon s’entendra toujours demander s’il a fumé, tandis que l’ouvrier ou la coiffeuse ne feront peut-être jamais le lien entre leur cancer de la vessie et l’emploi prolongé des solvants ou des teintures, puisqu’ils ne répondront pas aux questions qui ne leur seront pas posées. Commençons par poser les questions. Jacques Richaud, neurochirurgien à Toulouse, estime que « les professionnels de santé ne peuvent avoir d’autre posture que la lucidité, la transparence et la responsabilité, et c’est déjà beaucoup. Ils occupent la place privilégiée de ceux qui recueillent les données et peuvent participer à donner l’alarme. »


Date de création : 23/05/2018 11:22
Catégorie : Santé - Cancer
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